mars 17, 2015 kndesign

Pourquoi nous voyageons tous allegrement dans le village potemkine de google

Source : webmarketing-com.com

Question : pourquoi, tout en sachant que Google stocke et utilise allègrement nos données, nous continuons d’utiliser ses services ? Réponse (forcément partielle) : parce que Google est faux-cul. Adepte de la « liberté de choix » pour la « gestion des informations personnelles », Google enferme en réalité ses utilisateurs dans un village Potemkine au sein duquel les « choix » sont à sens unique. Exemple avec le navigateur web de Google : « Chrome »…

Parce que Google nous facilite la vie
Cela ne se voit pas spontanément, mais le navigateur Chrome est bourré de fonctionnalités destinées, explique Google, à faciliter la navigation des utilisateurs. Et, disons-le d’emblée : c’est plutôt réussi. Trois exemples de ces fonctionnalités.

1/ « Utiliser un service de prédiction afin de compléter les requêtes de recherche et les URL saisies dans la barre d’adresse (…) »

Traduction : Chrome nous facilite l’accès à vos sites préférés en préaffichant les URL.

google chrome preafficher url

Google Chrome a noté mon utilisation compulsive de Twitter. Il suffit alors que je tape uniquement « T » dans ma barre d’URL pour que « Twitter.com » me soit proposé.

2/ « Prédire les actions du réseau pour améliorer les performances du chargement des pages »

Traduction : lorsque nous accédons à un site ou une page, Chrome y fluidifie la navigation en préchargeant d’emblée les pages associées (hyperliens, pages suivantes, etc.). Si nous cliquons sur ces liens, les pages sont alors chargées plus rapidement.

3/ « Autoriser le stockage des données locales (recommandé) »

Traduction : en archivant les éléments des sites que nous visitons (langue, paramètres du site, etc.), Chrome accélère votre accès à vos sites internet habituels puisqu’il n’a pas à (re)charger intégralement ces éléments à chaque nouvelle visite de votre part.

webmarketing-com

J’ai déjà visité à de multiples reprises, avec le même navigateur, le site « Webmarketing-com.com ». Chrome en a donc archivé les structures. Ainsi, à chacune de mes nouvelles visites, toutes ces structures sont d’ores et déjà chargées. L’accès au site est donc plus rapide.

Bref, en un mot, toutes ces fonctionnalités fluidifient notre navigation web – et on ne s’en plaint généralement pas. Le souci, c’est que notre bonheur fait aussi celui de Google.

Parce que notre bonheur fait celui de Google
Tous ces beaux services offrent d’importants bénéfices à Google… au prix de l’exploitation de nos données personnelles. Des bénéfices dont le plus important est le ciblage toujours plus fin des publicités. Des publicités qui, rappelons-le, sont une des sources majeures des revenus de Google.

Le fonctionnement est assez simple : plus Google en sait sur nous, plus le ciblage de publicité mis à disposition des annonceurs est précis. Or, pour ne prendre qu’un exemple, l’historique de navigation de « Chrome » (c’est-à-dire l’enregistrement et le stockage de tous les sites que nous visitons) est un des éléments qui permet à Google de dresser un portrait (plus ou moins fidèle) de nos profils et de connaître nos « centres d’intérêt ». En bout de chaîne, c’est à partir de ces « centres d’intérêts » que les publicités régies par Google nous sont proposées.

retargeting google

Etant donné la publicité qui s’affiche quand je me rends, par exemple, sur Liberation.fr avec Chrome, je vous laisse deviner une de mes obsessions.

Si Google nous facilite autant la vie, c’est donc surtout pour maximiser son business (jusque-là, rien de neuf). Mais des utilisateurs trop conscients de ce genre de pratique pourraient bien déserter les services de Google – ou se manifester d’une autre manière, par exemple en justice. Que quelques esprits chagrins soient donc conscients du problème, oui, donc, mais que le quidam de base le soit aussi, certainement pas. D’où l’utilisation d’une rhétorique bien huilée.

Parce que Google est si bon rhéteur
Consulter les fonctionnalités de Chrome, c’est se balader dans un village Potemkine : Google est notre ami et ne veut que notre bien. Et il faut que ça se voie.

Cliquez sur « paramètres » dans Chrome, puis sur « confidentialité » et voyez par vous-mêmes : seuls les aspects favorables de chaque option sont présentés. Il ne suffit que d’un exemple pour comprendre la mécanique et les effets qu’elle peut engendrer : celui, par exemple, du « service » pour « résoudre les erreurs de navigation ». Cette fonctionnalité permet à l’utilisateur, lorsque le site auquel il souhaite accéder ne fonctionne pas, de consulter un site similaire.

Comment Google procède pour offrir un tel service ? Simple : chaque fois que les utilisateurs de Chrome accèdent à une URL, celle-ci est transmise à Google (donc enregistrée et stockée). Google l’explique très bien lui-même.

confidentialite google chrome

Les paramètres de confidentialité de Chrome rivalisent de termes positifs : « résoudre les erreurs », « prédire les actions », « activer la protection », etc.

Concrètement donc, quand on coche cette option, on livre toutes nos URL à Google. Volontairement ? Pas forcément, et c’est là que le bât blesse. En présentant cette fonctionnalité comme permettant de « résoudre les erreurs de navigation », l’utilisateur de Chrome est très incité à l’activer. En effet, faisant face à des « erreurs » (qu’il convient naturellement de « corriger »), Chrome est alors perçu comme un facilitateur, un réparateur de problèmes. Dans ce cas, pourquoi se priver ? Dans cette belle réalité, en revanche, l’utilisateur n’en saura pas plus au sujet de la collecte et du stockage des données personnelles par Google, et l’utilisation que l’entreprise en fait.

Et ce cas n’est pas isolé. L’analyse de la rhétorique de Google pour les autres fonctionnalités de Chrome donne le même résultat :

L’autorisation de « stocker des données locales » (qui permet à Google de collecter plus d’informations sur vos habitudes de navigation) ? Elle est « recommandé » et permet de « faciliter votre prochaine visite » sur les sites web. Plutôt cool.
Le « service de prédiction » (qui permet à Google d’enregistrer toutes vos requêtes, même celles que nous ne validons pas) ? Il nous permet de « compléter votre saisie » par des suggestions plutôt sérieuses puisque basées sur les « sites Web populaires ». Pratique.
Le service de « prédiction des actions du réseau » (qui, comme les précédents, permet à Google d’engranger plus d’infos sur votre navigation quotidienne) ? Il nous permet de « charger plus rapidement les liens ». Avantageux.
Mais au cas où cette rhétorique ne convaincrait pas quelques derniers esprits chagrins, Google a une autre arme : décréter notre consentement par l’activation de fonctionnalités par défaut.

Parce que Google ne demande pas notre consentement, il le décrète
Impossible de ne pas les mentionner, ces « choix contraint » ou ces « options obligatoires » (les termes sont de l’auteur de ces lignes, pas de Google). Des oxymores dont Google a le secret :

Enregistrer et stocker nos cookies ? C’est aimablement « Recommandé » et de toute façon activé par défaut.
Enregistrer et stocker les URL des sites que nous consultons ? Activé par défaut.
Enregistrer et stocker tous les mots que nous rentrons dans le moteur de recherche (y compris ceux que nous ne validons finalement pas) ? Activé par défaut.
La « liberté de choix » vue par Google passe donc par un renversement du consentement : nous sommes consentants par défaut. Si d’aventure, nous ne le sommes pas, il faut exprimer manuellement notre désaccord[1].

Pire : dans certains cas, notre refus est de toute façon interdit par Google. Par exemple, l’activation des cookies est obligatoire pour quiconque veut utiliser « tous les services Google ».

La question des choix… et des conditions pour les exercer
La « liberté de choix » de Google n’existe donc tout simplement pas. Non seulement les choix sont biaisés par les présentations qui en sont faites, mais en plus ces « choix » sont activés par défaut pour certains d’entre eux – ou impossible à exercer pour d’autres.

Une réelle « liberté de choix » ne pourrait être exercée par les utilisateurs de Chrome qu’à (au moins) deux conditions :

Avoir réellement connaissance de tous les enjeux qu’impliquent leurs choix ;
Pouvoir effectivement refuser certaines options.
Or, la situation de Google Chrome n’est pas sans rappeler celle de Facebook, dont il a été récemment prouvé qu’il violait la loi européenne sur le respect de la vie privée, pour deux raison simples : non seulement « les techniques de profilage (…) ne répondraient pas aux exigences relatives au consentement juridique de la part des utilisateurs », mais en plus « les mécanismes de contrôle qui permettraient à l’utilisateur de s’opposer à l’utilisation commerciale de ses données sont (…) totalement insuffisants. »

Un constat qui va comme un gant à Google Chrome.

Bonus – Opération mains propres : Google dit toute la vérité !
Bonne nouvelle : conscient du problème, Google s’est finalement décidé à agir ! Voici donc, en exclusivité, les nouvelles explications des fonctionnalités de « Chrome » que Google s’apprête à mettre en ligne :

L’ancienne version de Google : « Autoriser le stockage des données locales (recommandé) », « Prédire les actions du réseau », « Utiliser un service de prédiction afin de compléter les requêtes », etc.
La nouvelle version de Google: « Permettre à Google de capter mes informations de navigation pour les vendre à des annonceurs (chaudement recommandé par Google)»
« En échange d’une navigation internet plus facile, je permets à Google d’enregistrer mes informations de navigation à chaque fois que je visite un site internet. Ces informations seront mises à disposition des entreprises afin que celles-ci puissent administrer de la publicité. A chaque publicité, Google captera une part du bénéfice de l’hébergeur de publicité / du commanditaire de la publicité. Les utilisateurs des services de Google sont chaleureusement remerciés et leurs contributions actives, sans lesquelles ces bénéfices seraient impossibles, sont fortement encouragées. »
[1] Une logique d’ailleurs pas propre à Google, l’Etat français lui-même l’applique : depuis 1978, c’est au citoyen de « prouver » son droit à l’anonymat et non pas à l’Etat de justifier son fichage.